Le Conservatoire de Paris

Le Conservatoire de Paris a connu des changements spectaculaires entre collaboration et résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès le début de l'Occupation, le directeur du Conservatoire, Henri Rabaud, écrit de sa propre initiative aux nazis. Craignant que le nombre de musiciens juifs étudiant ou travaillant au Conservatoire ne conduise à sa fermeture, il propose d'aider les Allemands à l'"épurer" pour assurer sa pérennité. Après la publication du "Premier Statut des Juifs" des nazis, Rabaud mène une enquête officielle sur le nombre de musiciens juifs dans l'institution et trouve 24 Juifs et 15 demi-Juifs sur les 580 étudiants. Rabaud lui-même a le dernier mot sur qui est juif, et une fois l'enquête terminée, il adopte une motion interdisant aux musiciens juifs de recevoir des prix ou d'être autorisés à prendre une part active aux cours. Vingt-cinq élèves et deux professeurs sont contraints de partir.

En avril 1941, Rabaud cède la direction à Claude Delvincourt, qui adopte une attitude contraire. Delvincourt se bat pour obtenir un sursis qui permet à 60 de ses élèves d'échapper au Service du Travail Obligatoire en formant l'Orchestre des Cadets du Conservatoire. En cachant des musiciens dans cet orchestre, il réussit à les empêcher d'être déportés. Delvincourt distribue également de fausses cartes d'identité, des tickets de rationnement, des documents de travail et de l'argent, avec l'aide de Marie-Louise Boellman-Gigout, professeur d'orgue et résistante. Delvincourt plaide auprès des nazis pour être autorisé à garder 3 % d'étudiants juifs dans l'établissement, comme beaucoup d'autres établissements d'enseignement supérieur. Mais en septembre 1942, le collaborateur français Abel Bonnard écrit à Delvincourt qu'aucun juif ne doit être admis au Conservatoire. Grâce à l'inventaire que Rabaud avait entrepris en 1940, il ne fallut que quatre jours aux nazis pour expulser tous les étudiants juifs. Delvincourt réussit néanmoins à en sauver quelques-uns, comme l'étudiant juif Sergé Blanc, qui porte un nom de famille français. Il s'arrange pour que les autres reçoivent des cours secrets, ce qui leur permet de réintégrer le Conservatoire après la Libération. Delvincourt utilise le pseudonyme de Monsieur Julien pour échapper aux persécutions et rejoint le Front national des musiciens, dont les réunions se tiennent souvent dans son bureau. Aucun élève du Conservatoire n'a été déporté sous sa direction.

Delvincourt aide également les professeurs du Conservatoire. Bien que huit professeurs aient été exclus par les Allemands en 1942, Delvincourt s'est battu pour que Maurice Franck, professeur d'harmonie, soit autorisé à enseigner à nouveau après avoir été libéré de sa captivité en tant que prisonnier de guerre. D'autres membres du personnel aident Delvincourt. Charles Munch dirige l'orchestre du Conservatoire pendant l'Occupation, protège ses membres de la Gestapo, contribue à la promotion des compositeurs français et reverse une partie de ses revenus à la Résistance. Il a reçu la Légion d'honneur en 1945 en reconnaissance de ses efforts. L'éditeur Gaston Gallimard et la productrice de cinéma Denise Tual ont également créé les Concerts de la Pléiade, en référence à un groupe de poètes français de la Renaissance, qui se déroulaient fréquemment au Conservatoire. Tant que le public est inférieur à 40 personnes, aucune autorisation n'est nécessaire, ce qui permet d'introduire des œuvres clandestines comme celles du compositeur juif Darius Milhaud.

D'autres musiciens affiliés au Conservatoire participent aux activités de la Résistance ailleurs en France. Maurice Hewitt, membre du célèbre Quatuor à cordes Capet avant la guerre, a fondé l'Orchestre de chambre Hewitt en 1939 et a enregistré les œuvres du compositeur français Rameau pendant l'Occupation, afin de contribuer à la promotion du patrimoine culturel de la France. Il a également rejoint une organisation de la Résistance britannique qui aidait les pilotes alliés à s'échapper en Espagne. Il est arrêté et déporté à Buchenwald en 1943, où il organise une série de concerts. À sa libération en 1945, il dirige le Requiem de Fauré en tenue de prisonnier, à la mémoire des Français morts dans les camps. De même, Henri Dutilleux, qui a étudié la composition au Conservatoire jusqu'à la veille de la guerre, a refusé de composer pendant l'Occupation, écrivant : "Je ne voulais pas être dans une cage dorée. Ce n'était pas le bon moment. Mon frère était prisonnier de guerre, des amis avaient été tués". Il travaille pour Radio Vichy et le Studio d'Essai de Pierre Schaeffer, et rejoint le Front National des Musiciens, où il rencontre sa future épouse Geneviève Joy.

Malgré le succès des activités clandestines de Delvincourt, il ne faut pas oublier les membres du Conservatoire qui ont été tués pendant la guerre. Parmi eux, les jeunes compositeurs prometteurs Jean Vuillermoz et Jehan Alain. Les élèves qui ont été expulsés du Conservatoire par les nazis n'ont été reconnus qu'au cours des deux dernières décennies.

Par Daisy Fancourt

Sources

Richard E Burton Francis Poulenc (Bath, 2002)

Roland Penrose Au service du peuple en armes (1945)

Benjamin Ivry Francis Poulenc (Londres, 1996)

Alan Riding And the Show Went On : Cultural Life in Nazi-Occupied Paris (Londres, 1910)

Honegger Je suis un compositeur (Londres, 1966)

Jane F. Fulcher 'Debussy as National Icon : From Vehicle of Vichy's Compromise to French Resistance Classic' The Musical Quarterly (Oct, 2011)

Agnes Callu 'Le conservatoire de Paris : les réformes structurelles' La Vie Musicale Sous Vichy, ed. Chimenes, (Bruxelles, 2001).

Jean Gribenski "l'exclusion des juifs du conservatoire" La Vie Musicale Sous Vichy, ed. Chimenes, (Bruxelles, 2001).

Alexandre Laederich "Les associations symphoniques parisiennes" La Vie Musicale Sous Vichy, éd. Chimenes, (Bruxelles, 2001).

Guy Kirvopissko, Daniel Virieux "Musiciens, une profession en résistance" La Vie Musicale Sous Vichy, éd. Chimenes, (Bruxelles, 2001).

Harry Halbrech Arthur Honegger (Genève, 1995)

Pierre Meylan Honegger : son oeuvre et son message (Lausanne, 1982)

Bernard Grasset Georges Auric : Quand j'étais la (Paris, 1979)

Georges Auric Ecrits sur la musique "lettres françaises [clandestines]" ed Carl B. Schmidt (New York, 2009)