Fritz Löhner-Beda, de son vrai nom Bedřich Löwy, naît le 24 juin 1883 dans une famille juive de Bohême-Moravie. Durant l’enfance de Fritz, son père décide de faire emménager la famille à Vienne et adopte le patronyme de Löhner. À la différence de nombre de ses collègues juifs du monde du divertissement à Vienne, Löhner-Beda était fier de son héritage juif et voyait d’un œil critique les conversions très en vogue dans la classe moyenne juive. Dès son adolescence, il se passionne pour l’écriture et le divertissement ; ses poèmes et histoires paraissent sous le pseudonyme de « Beda », un diminutif de son prénom tchèque, d’autres sous le nom de Löhner, d’autres encore sous les noms Löhner-Beda ou Beda-Löhner. Poète à succès, il est publié dans des magazines, journaux et anthologies de poésie. Il écrit également des paroles de chansons et collabore avec des compositeurs d’opérettes.
En 1929 Löhner-Beda co-écrit le livret du Pays du Sourire, l’une des opérettes les plus jouées de Franz Lehár, qui confirme sa réputation comme l’un des paroliers les plus célèbres de son temps. Alors qu’il espérait que le succès du Pays du sourire le protégerait de toute persécution, il n’en fut rien. Peu après le rattachement de l’Autriche en mars 1938, Löhner-Beda, qui avait ouvertement critiqué le régime nazi, fut arrêté. Il fut envoyé à Dachau puis transféré à Buchenwald, où il écrivit les paroles du « Buchenwaldlied » (« Chant de Buchenwald »). Peu après son arrivée, le commandant du camp avait en effet organisé un concours parmi les prisonniers pour qu’un hymne du camp soit composé. Parmi les propositions, ce fut celle de Löhner-Beda, sur une musique de Hermann Leopoldi, qui l’emporta. Comme les deux artistes étaient juifs, le chant fut soumis par un chef de bloc allemand sous son propre nom. La récompense promise ne fut jamais payée. Le chant remporta un succès tant auprès des détenus que des gardiens.
Avec son codétenu Fritz Grünbaum, Löhner-Beda se produisit fréquemment lors d’événements informels à Buchenwald, ses poèmes et chansons étant souvent interprétés à ces occasions. Par un amer coup du sort, c’est pendant l’internement de Löhner-Beda que Le Pays du sourire fut donné à Vienne à l’occasion d’un gala fréquenté par des officiels nazis. Alors qu’il était au courant du destin malheureux de son partenaire, Franz Lehár resta silencieux. Son énorme succès auprès de Hitler n’empêchait pas sa situation d’être précaire car il était marié à une femme juive. Malgré tout, son silence fut fatal à son ancien compagnon. Comme l’écrira après la guerre Viktor Matejka, rescapé des camps et devenu conseiller culturel à Vienne : « Löhner devait mourir parce que Lehár l’avait oublié ».
Le 17 octobre 1942, Löhner-Beda est transporté à Auschwitz-Monowitz, où il écrira le « Buna-Lied » (Chant de Buna »). Considéré improductif en raison de son état de santé suite à une inspection pour la IG-Farben, il est conduit à la chambre à gaz le 4 décembre 1942. Plus de deux ans après sa mort, l’une de ses chansons résonne triomphalement : lorsque les troupes américains libèrent Buchenwald, les survivants chantent le « Buchenwaldlied » pour la première fois en tant qu’hommes libres.