Le « Chant des Partisans »

Le « Chant des Partisans », composé et interprété pour la première fois par Anna Marly en 1942, fut l’un des chants les plus importants et les plus diffusés au sein de la Résistance française. Il devint un symbole de défiance contre les nazis et joua un rôle fonctionnel dans nombre de réseaux de résistance en France et à l’étranger.

Anna Marly naît en Russie durant la Révolution d’octobre 1917, au cours de laquelle son père est fusillé. Peu après son premier anniversaire, le reste de la famille fuit pour la France. Marly mène une vie intense, de Menton à Monte Carlo, où elle devient danseuse pour les Ballets Russes et étudie avec Prokofiev, avant d’emménager à Paris et de se produire dans les cabarets. Après l’invasion de la France, elle fuit pour Londres, en passant par l’Espagne et le Portugal. À Londres, elle se porte bénévole à la cantine du Quartier général des Forces Françaises libres. Elle rejoint également l’Entertainments National Service Association (ENSA), une organisation créée en 1939 pour divertir les troupes britanniques. À ce titre, elle se produit pour les soldats et est régulièrement invitée à chanter pour la BBC. En 1942, le récit dans la presse britannique de la bataille de Smolensk, à laquelle des partisans russes ont participé, lui inspire une « Marche des partisans » qu’elle chante en russe dans les spectacles de l’ENSA et à la BBC. Quelques mois plus tard, elle rencontre chez la baronne Louba Krassine et Emmanuel d’Astier, des Français ayant réussi à fuir la France en passant par l’Espagne ; elle y interprète sa « Marche des partisans », suscitant la réaction enthousiaste de l’écrivain Joseph Kessel tout juste arrivé : « Voilà ce qu’il faut pour la France ! »

Joseph Kessel, accompagné par son neveu Maurice Druon, s’attelle alors à l’écriture de nouvelles paroles pour en faire un chant destiné à la Résistance française. Entre-temps, les premières notes sifflées du chant deviennent l’indicatif de l’émission d’André Gillois Honneur et Patrie, diffusée quotidiennement à destination des Résistants français sur Radio-Londres. Le 30 mai 1943, Germaine Sablon interprète la version française du chant sur ces mêmes ondes. La diffusion des paroles est assurée par une impression clandestine dans Les Cahiers de Libération et par des tracts largués par des avions anglais dans le ciel français. Le « Chant des Partisans » ou « Chant de la Libération » se répand dès lors rapidement dans divers groupes de résistance et remplace pour certains « La Marseillaise », interdite par les nazis. Il est entonné pour des funérailles de Résistants morts au combat. André Malraux s’y réfère dans son discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964 : « Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. »

Dans son autobiographie Ils partiront pour l’ivresse, la résistante Lucie Aubrac se souvient avoir rencontré Marly, d’Astier, Kessel et Henri Frenay dans un restaurant londonien en 1944, où Marly chanta le « Chant des Partisans » pour remonter le moral des membres de ce dîner. Anna Marly est décorée de l’ordre national du Mérite en 1965 pour ses nombreuses compositions musicales, dont « La Complainte du Partisan » écrit sur des paroles d’Emmanuel d’Astier. En 1985, à l’occasion du 40ème anniversaire de la Libération, le Président de la République François Mitterrand la nomme chevalier de la Légion d’honneur « en reconnaissance de l’importance du Chant des partisans ».

Par Daisy Fancourt. Traduit et augmenté par Élise Petit

Témoignages

Aubrac, Lucie, Ils partiront dans l’ivresse. Lyon : mai 1943, Londres : février 1944, Paris, Seuil, 1984.

Dac, Pierre, Un Français libre à Londres en guerre (Paris, 1972).

Marly, Anna, Troubadour de la Résistance : Mémoires, Paris, Tallandier, 2000.

Gillois, André, La Vie secrète des Français à Londres de 1940 à 1944, Paris, Hachette, 1973.

Van Moppes, Maurice, Chansons de la BBC et images de Paris (Paris, 1945).

Sources

 « L’anniversaire du Chant des Partisans », documentaire INA, mai 1963 : https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu06401/l-anniversaire-du-chant-des-partisans.html

Chimello, Sylvia, La Résistance en chantant, Paris, Autrement, 2004.

Chimènes, Myriam (dir.), La Vie musicale Sous Vichy, Bruxelles, Complexe, 2001.

Eck, Hélène (dir.), La Guerre des ondes : Histoire des radios de langue française pendant la deuxième Guerre Mondiale, Paris, Armand Colin, 1985.

Vedel Bonnéry, Audrey, La Voix de la France : BBC, une radio en guerre, Vendémiaire, 2017.

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?
Ohé partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme!
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades,
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades;
Ohé les tueurs, à la balle et au couteau tuez vite!
Ohé saboteur, attention à ton fardeau, dynamite...
C'est nous qui brisons les barreaux des prisons, pour nos frères,
La haine à nos trousses, et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève.
Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait, quand il passe;
Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place.
Demain du sang noir séchera au grand soleil sur les routes,
Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute.

and then the final lyrics are replaced with whistling
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh...

Friend, do you hear the crows' dark flight over our plains?
Friend, do you hear the muffled cries of the country being shackled?
Ahoy! Resistants, workers and farmers, the alarm has sounded!
Tonight the enemy shall know the price of blood and tears.
Climb out of the mine, come down from the hills, comrades,
Take the guns, the munitions and the grenades from under the straw;
Ahoy killers, with bullets and knives kill swiftly!
Ahoy "saboteur", be careful with your burden of dynamite!
We're the ones who smash the bars of jails, for our brothers,
Hate pursuing us, it's hunger that drives us, dire poverty.
There are countries where people sleep in their beds and dream.
Here, you see, we walk and we kill and we die
Here, each one of us knows what he wants, what he does when he passes by;
Friend, if you fall, a friend comes from the shadows in your place.
Tomorrow, black blood will dry in the sun on the roads
Sing, companions, in the night, freedom listens to us.

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